Lundi dernier, les trois candidats au congrès des Républicains ont débattu sur LCI. L’occasion pour les prétendants, Bruno Retailleau, Aurélien Pradié et Eric Ciotti, de s’opposer autant sur la forme que sur le fond. 3 candidats au socle commun indéniable, mais qui ont aussi des spécificités. Nous avons cherché à mesurer comment ces spécificités se traduisent dans le choix de leurs mots.
Alors que les adhérents du parti Les Républicains s’apprêtent à désigner leur nouveau président cette semaine, Datapolitics s’est penché sur les dessous lexicaux du débat d’1h40 entre les trois candidats au congrès. En utilisant une retranscription automatique retravaillée par nos soins, il est possible de réaliser une analyse statistique des soixante interventions des trois candidats, permettant d’aller plus loin de la simple écoute. Entre compétition pour la présidence d’un parti et désaccords de fond, voici nos principales trouvailles.
Un corpus logiquement homogène
Une première analyse de la distribution statistique des termes révèle que le corpus issu de la retranscription répond aux attentes d’y retrouver des traits communs, les trois candidats au congrès appartenant au même parti. Ainsi, les formes actives les plus fréquentes (en dehors des formes ordinaires comme les auxiliaires ou les pronoms personnels) appartiennent au vocabulaire d’une droite d’opposition : le terme « droite » est cité 72 fois, la France et les Français le sont 106 fois, Emmanuel Macron y est évoqué plus de 40 fois, systématiquement sous un angle critique.
Sur la forme, on retrouve des expressions et tournures propres à un débat plutôt cordial et orientées vers des propositions : les verbes les plus mobilisés (hors auxiliaires) sont les verbes « faire » (140 fois), « dire » (111 fois), falloir (« il faut » 102 fois), « vouloir » (89 fois), « pouvoir » (70 fois) et « penser » (57 fois). Les mises en causes personnelles ont été très rares, ou détournées : le pronom personnel « tu » est employé 7 fois seulement, contre 293 « je » et plus de 450 « on » ou « nous ».
Des candidats opposés sur la forme
Pour analyser les différences entre les candidats, nous nous sommes appuyés sur une analyse factorielle des correspondances (AFC), qui permet d’étudier les distributions lexicales de chaque candidat et, partant, de mieux comprendre leurs différences discursives. La visualisation graphique d’une AFC permet d’identifier quels sont les termes caractéristiques de chaque candidat : plus le mot associé à un candidat est éloigné du centre, plus il est spécifique à ce candidat.
D’abord, Bruno Retailleau se distingue des prétendants à la présidence LR par une structure très argumentative : le verbe « penser » est particulièrement mobilisé. Bruno Retailleau a également tendance à rythmer ses interventions par les adverbes « simplement » ou « justement », et à présenter son argumentation en deux temps : « première chose » puis « deuxième chose ».
L’approche réflexive de Bruno Retailleau est directement critiquée par Aurélien Pradié, qui dénonce une « droite des colloques », qui « écrit des livres » et ne se tournerait pas vers « l’action ». Pour appuyer cette critique, Aurélien Pradié développe son discours à l’opposé de la forme adoptée par Bruno Retailleau, en utilisant des verbes davantage actifs, comme « souhaiter », « comprendre », ou « porter ». En ce sens, le discours d’Aurélien Pradié se projette plus dans l’exercice de la fonction de président du parti, en donnant l’image de quelqu’un déjà au travail.
Face à cette opposition, le discours d’Eric Ciotti s’avère être surtout dans le registre de la dénonciation, en particulier celui de l’affaiblissement de l’Etat. En effet, son discours s’oriente sur une critique offensive des quinquennats de François Hollande et d’Emmanuel Macron, ce dernier étant systématiquement désigné personnellement comme « Monsieur Macron ». En conséquence, il en appelle à un « courage » politique, en particulier dans les domaines de l’immigration et de la baisse des impôts.
Cette opposition se retrouve également dans l’emploi différencié des pronoms personnels : tandis que Bruno Retailleau comme Eric Ciotti mobilisent particulièrement le pronom personnel indéfini « on », pour renvoyer à un ensemble général de communauté nationale, Aurélien Pradié mobilise davantage un « nous » spécifique en tant que famille politique de droite. Ainsi, tandis que Bruno Retailleau et Eric Ciotti s’inscrivent une logique d’être à la tête de l’Etat, Aurélien Pradié se focalise plutôt sur son incarnation à la tête de la droite.
Ukraine, IVG : deux thèmes caractéristiques des désaccords de fond
Sur les thématiques développées durant le débat, la même analyse des spécificités permet également de mieux appréhender les différences idéologiques entre les candidats. Nous avons sélectionné les 2 thèmes sur lesquels les candidats se sont le plus différenciés.
Sur l’Ukraine par exemple, si Aurélien Pradié a défendu le rôle de la France dans le commandement intégré de l’Otan, Eric Ciotti défend la singularité de la voix de la France à l’international, en invoquant la figure du Général de Gaulle. Bruno Retailleau a quant à lui une approche davantage civilisationnelle, en saluant le combat du peuple ukrainien présenté comme la défense de leur culture et de leur civilisation.
Sur la question de la constitutionnalisation de l’IVG, l’analyse montre une forte opposition de Bruno Retailleau, dénonçant un débat « américain », face à Aurélien Pradié défendant « l’héritage » d’un « combat politique » de « droite », et Eric Ciotti, saluant le rôle de Simone Veil et reconnaissant devoir regarder les évolutions de la société.
Des prises de position révélatrices
À Datapolitics, nous avons développé un extracteur des prises de position que nous avons appliqué au débat du congrès LR. Cet outil nous permet d’identifier quelles sont les phrases qui relèves d’engagements de la part des locuteurs : par exemple, quand une personnalité déclare être pour quelque chose ou contre quelque chose. Utilisé pour le débat, il nous révèle les différences entre les candidats de l’intensité de leur engagement suivant les thématiques abordées. Au total, ce sont plus de 80 prises de positions explicites qui ont pu être automatiquement identifiées.
index | Speaker | Theme | Intervention |
---|---|---|---|
43 | Pradié | IVG | cela, quoi je suis favorable, c’est que nous inscrivions les principes de la loi Veil, des principes que nous avons soutenu historiquement, qui sont notre propre conquête, dans la Constitution. |
44 | Ciotti | IVG | cette droite, elle doit être ouverte sur la société aujourd’hui, il y a des défis. elle doit parler à tous, aux familles, entendre les évolutions de la société. |
45 | Retailleau | IVG | simplement moi, je ne veux pas importer les débats américains sur le sol français . |
Extrait des positions explicites des trois candidats sur la constitutionnalisation de l’IVG
Ainsi, notre extracteur a pu constater que Bruno Retailleau s’est d’abord concentré sur l’expression personnelle de son soutien à l’Ukraine et, à l’inverse, les deux autres candidats ont en premier lieu formulé explicitement des propositions de positionnement de la France dans la résolution du conflit. À l’inverse, les deux autres candidats ont davantage formulé explicitement leurs positionnement. Par ailleurs, c’est dans la dernière partie consacrée à l’avenir politique de la droite que les candidats ont pris le plus de position. Signe que les échanges ont été animés !
Surtout, c’est dans la conclusion que notre extracteur révèle les visions de fond des candidats. Ainsi, alors que Bruno Retailleau considère que la droite doit « incarner ce nouvel idéal français face au déclin français », Aurélien Pradié fait le constat de l’échec de la droite et appelle à la relever : « voilà près de 10 ans que notre famille politique échoue et nous ne considérons pas que ce soit une fatalité ». Eric Ciotti, enfin, assume une forme de dépassement : « moi, je revendique d’être de droite, je revendique demain, des réformes de rupture ».
Trois stratégies rhétoriques
En conclusion, l’analyse de discours permet de brosser un portrait des stratégies politiques des candidats, tout en identifiant leurs fonds idéologiques :
- le discours de Bruno Retailleau se caractérise par une invitation à la réflexion et au fond, afin de soutenir une vision culturaliste ;
- Aurélien Pradié, critique de cette approche, s’y oppose en projetant dans son discours l’incarnation d’un président de parti politique déjà au travail ;
- Eric Ciotti axe son discours principalement sur la critique d’Emmanuel Macron, en proposant en conséquence un projet de droite de rupture qui s’incarnerait dans un retour au gaullisme.
En bref, l’analyse de discours apparaît de plus en plus incontournable pour saisir le sens de la parole politique et ses stratégies sous-jacentes. En plaçant l’analyse de discours au cœur de l’activité de Datapolitics, nous ne manquerons pas de suivre l’évolution de la parole de très près. Comment vont changer les discours des candidats au congrès LR après l’élection du nouveau dirigeant de la droite ? À suivre…
Datapolitics, un puissant outil d'intelligence artificielle spécialisé dans le secteur public
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