Quels sont les groupes politiques les plus disciplinés de la nouvelle Assemblée ? Entre les groupes les plus émancipés de leurs alliances à l’Assemblée et la présence dans les groupes de députés plus ou moins « loyaux », Datapolitics revient sur les débuts inédits de la XVIème législature.
Mesurer le degré de cohérence idéologique des groupes à l’Assemblée nationale est devenu un enjeu crucial pour parvenir à anticiper l’issue des votes dans la chambre basse. Loin de voter comme un seul homme dans leurs groupes, les députés votent parfois à l’encontre de la position majoritaire de leur groupe, et certains le font plus souvent que les autres.
Avec l’appui des données accessibles à l’Assemblée nationale, Datapolitics a analysé les 191 premiers scrutins publics de la XVIème législature. Ils correspondent à l’examen cet été de textes comme le projet de loi de finances rectificatif 2022 ou le projet de loi pouvoir d’achat. Si l’un de nos décryptages précédent a analysé les 121 premiers scrutins publics au prisme de la proximité entre les groupes politiques, nous proposons à présent d’étudier la proximité des votes dans le détail des parlementaires au sein des groupes politiques, ainsi qu’au sein des alliances politiques au centre (majorité présidentielle) et à gauche (Nupes).
Un taux de proximité moyen élevé
Pour évaluer le niveau de cohérence idéologique d’un groupe, on compare les votes de chaque député avec la position majoritaire du groupe d’appartenance lors des 191 scrutins publics. Le rapport entre le nombre de votes similaires au groupe et le nombre de scrutins donne le taux de proximité par rapport au groupe. Depuis le début de la XVIème législature, les taux de proximité des groupes sont tous supérieurs à 94%, à l’exception notable du groupe LIOT et LR, qui se distinguent par le fait de laisser une certaine indépendance supplémentaire des députés sur leurs votes.
Les groupes LR et LIOT éclatés
La distribution des taux de proximité des députés à l’intérieur des groupes permet de mieux appréhender l’hétérogénéité – ou non – de la composition des groupes politiques. Le graphe ci-dessous montre la répartition des députés au sein des groupes suivant leur taux de proximité par rapport au groupe politique d’appartenance.
Il permet de constater que si l’essentiel des députés des groupes LFI, Renaissance, MoDem ou Horizon votent la plupart du temps en cohérence avec la position majoritaire de leur groupe, les députés des groupes GDR, PS, LR et LIOT semblent moins monolithiques. Par exemple, si alors 99,4% des députés Renaissance ont un taux de proximité avec les positions du groupe supérieur à 90%, seuls 6,4% des députés LR sont aussi proches de leur groupe.
Dans les histogrammes des groupes LFI, PS, MoDem, Horizon et RN, on remarque des barres particulièrement éloignées du reste de leur groupe, renseignant sur un faible taux de proximité de certains députés. Ces barres correspondent aux députés vice-présidents de l’Assemblée nationale, qui ne prennent pas part au vote lorsqu’ils président une séance, ce qui est inscrit dans le compte rendu de séance. Il est donc attendu que leur comportement lors des scrutins soit différent de celui de leurs groupes respectifs.
À gauche, un intergroupe fracturé
Au delà de l’analyse de proximité par groupe politique, nous avons également calculé un indice de proximité des députés en fonction de la position majoritaire des groupes politiques alliés, que ce soit au sein de la majorité présidentielle (groupes Renaissance, MoDem et Horizon) ou au sein de la Nupes (groupes PS, EELV, GDR et LFI). Cet indice permet d’observer les différences de positions des groupes au sein des alliances.
Le graphe ci-dessous reprend la même logique de distribution des députés que le graphe précédent, appliqué à ce nouvel indice. Il montre que les groupes alliés à LFI sont en l’espèce davantage divisés que les groupes de la majorité présidentielle, où les groupes MoDem et Horizon votent davantage en cohérence avec Renaissance. Ainsi, si en moyenne 91% des députés des groupes de la majorité présidentielle sont proches à plus de 90% des positions de la majorité présidentielle, en moyenne seuls 72% des députés des groupes de la Nupes sont proches à plus de 90% des positions de la Nupes. Ainsi, la distribution des députés au sein des groupes GDR, EELV et PS en fonction du taux de proximité intergroupe apparaît bien plus éclatée que le groupe LFI et les groupes de la majorité présidentielle.
Une telle différence de comportement des groupes entre les alliances peut s’expliquer par deux facteurs :
- Au contraire de la Nupes, positionnée dans l’opposition, la majorité présidentielle doit parvenir à constituer une majorité suffisante à chaque scrutin, sous la pression de disposer seulement d’une majorité relative.
- Les désaccords entre LFI et les autres partis de la Nupes ont été reconnus publiquement et sont inscrits dans leur programme des législatives, ce qui n’est pas le cas de Renaissance et de ses alliés. Il est donc davantage attendu que les groupes de la Nupes prennent des positions plus clairement différentes entre les groupes.
En ce qui concerne la distribution dans les groupes des taux de proximité des députés vis-à-vis de la position majoritaire de leur intergroupe, le phénomène d’hétérogénéité de la composition des groupes relevé précédemment se confirme à nouveau.
Des députés tentés par une émancipation de leur groupe
Le détail nominatif des députés les plus éloignés des positions de leurs groupes politiques et de leurs intergroupes fournit un éclairage supplémentaire sur les députés prenant le plus leurs distances avec leurs groupes.
D’abord, on constate que la majorité des groupes disposent d’une importante cohérence dans les positions de leurs membres, là où les écarts du graphe suivant sont les plus faibles. À l’inverse, les groupes Horizon, LR et LIOT apparaissent plus hétérogènes : par exemple, le député LR Xavier Breton n’a pas adopté la même position que son groupe dans plus de 40% des scrutin publics.
La comparaison entre les taux de proximité du groupe et le taux de proximité de l’intergroupe permet également de constater qu’à gauche, si le groupe PS apparaît comme plutôt cohérent, les députés semblent davantage tiraillés par rapport à la position majoritaire de l’intergroupe Nupes : alors que le taux de proximité intergroupe de la députée Chantal Jourdan de 88,42% est le plus élevé du groupe socialiste, il reste inférieur au taux de proximité intergroupe de la députée Martine Étienne, la plus éloignée du groupe LFI avec la position majoritaire de l’intergroupe.
De plus, certains députés sont aussi éloignés de la position majoritaire du groupe et de l’intergroupe, faisant preuve d’une certaine indépendance par rapport aux autres députés de leur bord : Thierry Benoît (HOR) et Fabien Roussel (GDR) apparaissent comme les députés les plus indépendants de leur groupe à la fois vis-à-vis de leur groupe et de leur intergroupe.
Un révélateur politique des comportements des groupes
Depuis le début de la XVIème législature, les alignements des députés avec les positions majoritaires des groupes politiques sont particulièrement distincts suivant les groupes politiques. Si la majorité fait preuve d’une importante cohérence, d’aucuns parleraient de discipline de groupe, les groupes LIOT, LR et les groupes alliés à LFI font preuve d’une plus grande hétérogénéité.
Toutefois, un taux de proximité faible d’un groupe ne signifie forcément pas qu’il est sur le point de se fracturer. Il permet surtout constater quels sont les groupes où les députés ont davantage tendance à être indépendants vis-à-vis de la position majoritaire de leur groupe, une position couramment acceptée dans des groupes comme LIOT ou LR du fait d’une culture de vote différente des autres groupes.
Dans un contexte de majorité relative, l’indépendance de parlementaires vis-à-vis de la position majoritaire de leur groupe ou de leur intergroupe peut constituer un levier décisif dans l’adoption d’amendements ou de projets de loi, où la majorité recherchée lors des scrutins peut se jouer à quelques voix. Au contraire, une plus grande cohérence de votes dans les rangs d’autres groupes politiques, comme ceux de la majorité ou de LFI, constituent le marqueur d’une forte discipline de groupe et facilitent une forme de prédiction du poids de ces groupes dans les scrutins. En ce sens, les scrutins publics du PLF, du PLFSS et du projet de loi réformant l’assurance chômage mériteront d’être suivis de près.
Méthodologie
Pour réaliser cette analyse, nous nous sommes appuyés sur notre solution de veille et d’analyse de la parole politique : Hedwige.
Dédiée aux professionnels des médias et des affaires publiques, Hedwige agrège les prises de positions et votes des personnalités politiques sur de nombreux canaux (parlement, presse, vidéo, réseaux sociaux).
Dans cette analyse, nous nous concentrons sur les 191 scrutins publics enregistrés par l’Assemblée Nationale depuis le début de la XVIème législature disponibles le 01/10/2022 au matin et accessibles en Open Data. Le calcul de la proximité des votes s’effectue député par député : pour chaque scrutin public, les positions majoritaires des groupes sont calculées et comparées à chacun de leurs membres. Il en ressort un taux de proximité moyen des votes pour chaque député.
NB 1 : Les 191 scrutins étudiés ne peuvent constituer une analyse exhaustive des votes des députés : la majorité des scrutins se faisant à main levée, le détail nominatif des votes n’est pas accessible dans les données. Seuls les scrutins ayant fait l’objet d’une demande de scrutin public ordinaire ainsi que les scrutins publics solennels (pour le vote d’ensemble d’un texte par exemple) peuvent être analysés.
NB 2 : les résultats pourront être amenés à évoluer avec les futurs scrutins.